La multiplication des réseaux réduit les dimensions du village global : le nombre de degrés de séparation entre les êtres humains tend à se réduire, créant une proximité parfois inconfortable à laquelle il devient difficile d’échapper.
Si vous vivez dans un petit village, il y a de fortes chances que vous connaissiez personnellement toutes les personnes que vous croisez le matin en allant chercher votre pain, ou bien que vous connaissiez quelqu’un qui les connaît. Dans ce cas, le degré de séparation qui vous sépare d’elles est de zéro ou un. Dès 1929, le Hongrois Frigyes Karinthy a ainsi théorisé la distance entre deux êtres humains choisis au hasard sur la planète en nombre de poignées de mains, ou degrés de séparation. A l’époque, il avait établi que ce chiffre était toujours inférieur ou égal à 6. La validité de sa théorie n’a cependant jamais été clairement démontrée scientifiquement. Depuis, internet et ses réseaux sociaux ont considérablement multiplié la connectivité entre individus distants. Ils ont d’une part augmenté les possibilités de connexions réelles matérialisables par les fameuses poignées de main, d’autre part créée de nouvelles formes de lien, virtuels et non matériels dont les répercussions sur la vie réelle sont encore mal connues. Ce sont ces fameuses listes d’amis et les communautés virtuelles du web 2.0. Sur le réseau social Facebook, le nombre de degrés de séparation a été mesuré à 4,74 en 2011, et lorsque cette mesure se limite aux personnes appartenant au même pays, ce nombre tombe à 3. Cela signifie que sur Facebook, vous n’êtes jamais loin d’un autre compatriote : au pire, l’un de vos amis a un ami commun avec l’un de ses amis !
Cette proximité, qui existe aussi à l’échelle d’un quartier ou d’un lieu de travail, produit un sentiment d’appartenance, parfois de sécurité : on s’identifie aux communautés parfois multiples auxquelles on appartient et l’on revêt ainsi diverses identités selon les moments de la vie et les espaces où l’on séjourne. A chaque fois, on se crée et l’on participe à un réseau tissé de liens réels ou virtuels, réseau où circulent des informations, où s’échangent des services. Tout membre d’un réseau est ainsi potentiellement « utile » à tous les autres. Pour le meilleur comme pour le pire : les informations qui circulent peuvent être rumeurs et calomnies, et « utile » peut se décliner en « utilisable ».
La trop grande proximité peut ainsi créer un sentiment d’étouffement, au point de vouloir quitter un village trop petit pour un lieu plus peuplé, l’anonymat des grandes villes ouvrant alors un espace de liberté dans lequel l’individu échappe au regard d’autrui. Mais le plus souvent, il suffit de quitter son travail ou son club de gym pour s’affranchir de liens de proximités trop pesants.
Avec internet, cette possibilité tend à disparaître : les collègues de travail peuvent avoir accès aux photos de familles, les événements de la vie privée être connus des amis… Toutes les identités jadis séparées et accessibles uniquement au sein du réseau concerné peuvent désormais se croiser, se fondre, se comparer… Le croisement systématique des carnets d’adresses vous relie par exemple à des individus auxquels vous n’avez peut-être aucune envie d’être associés et d’aucune façon : internet vous rapproche ainsi contre votre gré de personnes que vous voudriez tenir à distance. Bref : la multiplication des liens et des réseaux réduit le monde à un tout petit village avec lequel il est préférable d’avoir de bons rapports, car les espaces de fuite vers l’anonymat sont difficiles à trouver !
Ajouter un commentaire